Une fine couche de neige tombait sur la ville silencieuse, c’était un 24 décembre. J’étais au lit, luttant avec moi-même pour ne pas être tenté d’aller ouvrir les cadeaux sous le sapin. Réveillé par une fringale ou prétextant celle-ci, je n’ai pu résister : je me suis levé pour descendre à la cuisine. C’est en passant par le salon, sans même regarder le sapin, que je suis tombé sur lui.

Littéralement, je suis tombé sur lui. Ses pieds dépassaient du divan où il était allongé et je me suis accroché en passant, perdant aussitôt l’équilibre et tombant sur ses genoux, comme lorsque j’étais enfant. Il a ri de ce rire gras, reconnaissable entre tous et – je m’en confesse – j’ai tout d’abord eu peur.

Il y avait, après tout, un homme dans mon salon. Vêtu de rouge, portant une longue barbe blanche, souriant, mais malgré tout dans mon salon. Je ne m’y attendais pas. Bien sûr, je faisais semblant pour les enfants, mais en réalité, je ne croyais plus à lui depuis qu’un enfant dans la cour d’école – je ne devais pas avoir plus de dix ans –  m’avait raconté avoir reconnu son père derrière le déguisement du gracieux personnage.

Il était pourtant là, devant moi, buvant mon lait (directement à la pinte) et  mangeant mes biscuits (à même le sac). Il n’y avait pas plus réel, pas plus fantastique, pas plus merveilleux comme rencontre. J’étais sans mot.

-  Ne fais pas cette tête-là!  A-t-il dit, en me donnant une tape amicale dans le dos.

-  C’est que… c’est vous! Vous! Vous êtes… 

- Bien réel, oui, je sais ça surprend. C’est normal et j’ai l’habitude, ne t’en fais pas. 

-  Si je peux me permettre…  que me vaut l’honneur? Avez-vous besoin d’un verre pour le lait? D’une assiette pour les biscuits? Voulez-vous un morceau de gâteau aux fruits? Il n’est pas très bon, mais c’est moi qui l’ai fait… 

-  Oh! Oh! Oh! Calme-toi jeune homme. Je suis là parce que j’ai besoin que tu me rendes un service. 

-  N’importe quoi, n’importe quoi pour vous. Qu’est-ce que je peux faire pour vous rendre service? 

J’étais énervé comme un enfant, sans doute davantage puisque j’étais conscient de l’improbabilité de la situation. Il s’est rassis et a pris un air sérieux en posant une main sur mon épaule pour me calmer. Je ne sais pas si vous pouvez imaginer le père Noël qui prend un air sérieux, mais c’est assez impressionnant.

-  J’ai besoin d’assurances et vous m’avez été chaudement recommandé. 

-  Pardon? 

-  J’ai besoin d’assurer mon atelier, ma maison et surtout mon traîneau… tout! 

-  Ok… mais je ne suis pas certain d’être en mesure de… 

-  Allez, essaie-toi et on verra. 

Avant de m’aventurer à cet exercice délicat j’avais besoin de rassembler mes idées, de me rappeler tout ce que j’avais entendu sur le père Noël dans ma vie. Je me suis servi un biscuit et ai bu à la même pinte de lait que le père Noël (à la même pinte!). Mon esprit s’est fait aller…

Il vit au Pôle Nord avec sa tendre moitié, donc dans une région particulièrement sensible au réchauffement planétaire (risque d’inondations et de dégâts d’eau) et possiblement assujettie seulement aux lois internationales (flou juridique). Il a un atelier de confection de jouets (atelier professionnel). Il a des employés de maison (les lutins). Il a forcément une étable ou un bâtiment du genre pour ses rennes (risque agricole). Il a un véhicule sur skis… qui vole (modifications prohibées? droit aéronautique?). Il utilise son traîneau à travers le monde et le parcours en une seule nuit (excès de vitesse?).

Le 24 décembre, il est accompagné par des F-18 de l’armée canadienne dès que son départ du Pôle Nord est détecté par le NORAD (surveillance accrue de la part des autorités…). Il doit avoir une salle de tri de courrier (manuel ou automatisé?). Il pratique de nombreuses invasions de domicile (dossier criminel?) en passant par des cheminées qui ne sont pas nécessairement bien entretenues (risque d’accident de travail), personne n’a la moindre idée de son système de contrôle de la qualité sur ses jouets (risque en responsabilité civile) et… et…

-  Père Noël… 

-  Tu peux m’appeler Noël. 

-  C’est votre nom? 

-  Pas tout à fait, c’est Nicolas, mais je préfère Noël. 

-  Ok. Noël, je ne suis pas certain de pouvoir vous assurer. 

-  Pourquoi?

-  Parce que je suis trop ému et ça brouille mon esprit.

-  C’est tout?

-  Bien sûr, vous ne représentez pas un risque commun, mais à la rigueur avec un peu d’imagination on pourrait toujours trouver une solution…

-  Avec de l’imagination…

-  Par contre, dans mon empressement, je risquerais d’oublier quelque chose et du coup, j’ai peur de ne pas vous rendre service.

-  Je comprends… De toute façon, je dois te confesser quelque chose…

-  Quoi?

-  Je ne manque pas d’assurance! Je suis pleinement en confiance… Oh! Oh! Oh!

- Heu… venez-vous de faire un jeu de mots?

Un clin d’œil et…

Je me suis réveillé dans mon lit. Était-ce un rêve? Je suis descendu au salon pour m’en assurer. Il n’y avait aucune trace de son passage. Pas de lait, pas de biscuit, pas de trace de pas ou autres. J’avais imaginé toute la scène. À moins que…

Ma tendre moitié, de la cuisine, m’a lancé :

- Chéri? Tu pourrais aller acheter du lait? J’étais certaine qu’il en restait, mais la pinte au réfrigérateur est vide…